Statistiques et expertises de la sécurité routière. Une comparaison France - Etats-Unis. Rapport définitif.
Résumé- Data are not given : cette formule de langue anglaise illustre à merveille la perspective générale de la recherche. Les statistiques des accidents de la circulation ne dépendent en effet pas seulement d'un phénomène accidentel qui serait donné a priori. Les acteurs du secteur de la circulation routière participent en fait à l'élaboration concrète d'une représentation, en particulier statistique, du problème public des accidents automobiles. Ainsi, l'éclairage de l'histoire des systèmes statistiques de la sécurité routière français et américains met à jour les attendus politiques, économiques et sociaux de ces outils de rationalisation de l'action publique souvent présentés comme purement technique et objectif.
Méthodologie : La recherche historique a été orientée par une première plongée dans les systèmes statistiques contemporains en France et aux Etats-Unis. Les approfondissements nécessaires ont ensuite été réalisés à la fois dans les centres de documentation d'Universités américaines et dans des institutions publiques et privées concernées par la prise en compte de la sécurité routière.
De la même manière, la périodisation retenue a été déterminée en fonction des problématiques repérées initialement. Il a ainsi été très important de consacrer une partie non négligeable des recherches sur la période du début du XXème siècle, pour saisir la genèse de la configuration du système d'action en matière de sécurité routière aux États-Unis.
Sur le terrain contemporain, les matériaux ont été essentiellement recueillis sur la base d'entretiens et d'observation participante des acteurs du système d'action publique, au-delà souvent des seuls services en charge de la production statistique.
Résultats : Un point de ressemblance fondamental entre la France et les EU a été relevé concernant la place centrale des ingénieurs de la voirie dans les systèmes experts chargés de la rationalisation de l'action publique dans le secteur. Il a permis de comprendre l'importance du développement des expertises en ingénierie des transports et l'influence de cette profession sur l'orientation du système statistique, et conséquemment sur celle des programmes d'action publique engagés. Ce point a sans doute été à l'origine d'un formatage du système statistique peu enclin à l'intégration de problématiques issues d'expertises externes (médicales par exemple).
La comparaison France/États-Unis a également révélé des différences importantes dans la place qu'occupent, dans la structuration des systèmes statistiques, les intérêts privés, ceux en particulier des constructeurs automobiles. Depuis l'origine du décompte des accidents de la circulation aux États-Unis, les constructeurs ont joué un rôle primordial, souvent prépondérant sur celui joué par les acteurs publics, en particulier fédéraux. Cette influence, même contestée dans les années 1960, est restée cruciale. Elle met en lumière la situation française où les constructeurs automobiles n'ont jamais investi de manière frontale les problématiques de sécurité routière, concentrant leurs efforts sur la recherche pour le développement d'équipements de sécurité sur les véhicules.
En plus de luttes d'intérêts professionnels, les pratiques américaines de collecte et de diffusion des statistiques d'accidents ont permis de mettre en évidence des conflits de pouvoir entre différents échelons territoriaux de la puissance publique qui pourraient connaître une nouvelle ampleur dans le paysage à venir d'une gestion de la route largement décentralisée.
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