Transports (les) et le Facteur 4. Entre diversification des signaux et réforme fiscale. Rapport final.
Résumé- Problématique
La réalisation d'un objectif de diminution par quatre des émissions tendancielles de carbone sur le long terme en France, dit « de facteur 4 » (F4), pose trois types de problèmes :
· la déclinaison sectorielle de l'objectif agrégé : par rapport à une allocation différenciée minimisant les coûts agrégés, l'application homogène d'un objectif F4 sur l'ensemble des activités économiques conduirait à un fort surcoût (une forte perte d'efficacité économique) tant les possibilités de « décarbonisation » sont hétérogènes ;
· les « variables de commande » concernées : si l'émergence d'un prix du carbone (sous forme de taxes ou de permis d'émission négociables-PEN) est nécessaire pour accompagner toute politique climatique, dans certains secteurs et principalement dans les transports ce prix ne peut être le seul levier de politique publique à envisager ;
· la nécessité de mutations culturelles substantielles : l'objectif d'un facteur 4 ne pourra s'effectuer, sauf optimisme technologique outrancier, sans de fortes tensions sur l'appareil de production, sur les modes de vie et sur les relations sociales au delà des secteurs de l'énergie.
Cette étude compare les performances macroéconomiques et environnementales de plusieurs scénarios d'action climatique, à la entre eux et par rapport à une situation de référence commune (sans action climatique). La méthodologie employée a été conçue pour donner, dans le cadre de la réflexion sur la transition du secteur des transports, des éléments de réponse concernant :
· la contribution du secteur des transports à l'objectif F4,
· les coûts de différentes politiques et mesures sur ce secteur,
· le choix et la complémentarité éventuelle de différents instruments.
Positionnement par rapport à l'état de l'art
Historiquement, l'évaluation prospective de politiques climatiques a été menée selon deux types d'approches qui restent encore largement imperméables l'une à l'autre : l'approche d'ingénieur (Bottom-up), qui s'attache à évaluer des potentiels et coûts techniques au moyen d'une description sectorielle détaillée ; et l'approche macroéconomique (Top-down), qui évalue les effets sur l'activité et le bien être par une description agrégés du fonctionnement général de l'économie.
Du fait de leurs natures, ces deux approches aboutissent à des prescriptions différentes : l'approche Bottom-up souligne l'existence d'un « efficiency gap » entre le potentiel des solutions techniques disponibles et l'efficacité des techniques en place ; des « mesures à coûts négatifs » sont donc disponibles et sont à même d'abaisser les coûts globaux des réductions d'émissions, et par conséquent le niveau des signaux prix devant y conduire. En même temps, par leur description explicite des systèmes productifs, elles soulignent l'existence de fortes inerties (durée de vie des équipements, des installations, nombre limité des techniques alternatives, etc.), à même de limiter à moins long terme l'efficacité de ce même signal prix.
Au contraire, l'approche Top-down remet en cause le niveau voir l'existence de potentiels « sans regret » en raison d'éléments économique négligés par l'approche Bottom-up (coûts de fiabilité, de facilité d'usage, d'entretien des nouvelles techniques ; complexité et hétérogénéité des préférences des consommateurs, « effets rebond » ; coûts de transaction, d'investissement et leur effets sur la croissance et l'emploi, etc.). A l'inverse, ces modèles peinent à représenter les particularités et les potentiels techniques et technologiques des secteurs modélisés, ce qui ne leur permet pas d'étudier l'effet de politiques et mesures sectorielles spécifiques autres que des signaux-prix.
La particularité de cette étude est d'apporter une approche hybride qui intègre dans un même cadre cohérent d'une part, une description explicite du secteur des transport, et d'autre part, ses interrelations avec le reste de l'économie, les effets de diffusion des politiques simulées, et les effets en retour due au fonctionnement général de l'économie (« effets rebond », coût des infrastructures, effets sur la congestion du comportement de demande de transport et de choix modal des ménages, etc.).
Cette approche hybride présente donc l'avantage de donner un cadre cohérent à la réflexion en représentant l'ensemble des interactions économiques entre secteurs, et de mettre en évidence comment les transports s'insèrent dans la vision d'ensemble d'un futur à faible contenu carbone.
Méthodologie
La contribution du secteur des transports à un objectif de réduction Facteur 4' de réduction d'émissions de gaz à effet de serre est étudiée en simulant les effets macroéconomiques et environnementaux de 9 politiques climatiques. Les performances de chacune d'elles sont évaluées annuellement jusqu'à 2050 et par rapport à une trajectoire de référence' commune (sans politique climatique).
Les scénarios se différencient selon quatre dimensions, (i) l'instauration ou non d'une taxe carbone à compter de 2008 ; (ii) l'utilisation des revenus de la taxe carbone si elle est instaurée ; (iii) la mise en ½uvre ou non de politiques transports' spécifiques et (iv) la représentation du marché du travail.
Les simulations sont réalisées à l'aide du modèle d'équilibre générale calculable IMACLIM-R. Ce modèle récursif a pour particularité de mettre en cohérence une expertise sectorielle sur les réalités propres aux transports, et une analyse macroéconomique multisectorielle. La version utilisée représente l'économie française en échange de biens et de capitaux avec le reste du monde ; outre les 4 secteurs des transports (aérien, maritime et fluvial, terrestre marchandises, terrestre passagers), elle comprend 8 autres secteurs d'activité, et 3 catégories d'agents domestiques (les ménages, les systèmes productifs et les administrations publiques).
IMACLIM représenter à la fois les moteurs de la croissance à long terme et les frictions pouvant survenir à court terme (anticipations imparfaites, utilisation incomplète des facteurs de production, inerties à différents niveaux équipements, techniques, préférences, flux commerciaux ou flux de capitaux) au travers d'une architecture récursive. La croissance économique est ainsi décrite comme une succession d'équilibres statiques : chaque équilibre statique est un cliché de l'économie à une date ou sur période donnée ; la dynamique de l'économie est représentée à travers l'évolution des variables sur une succession d'équilibres.
Le niveau d'agrégation national n'empêche pas une description explicite des choix d'investissement et d'exploitation du secteur des transports, des choix de mobilité et du niveau d'équipement des particuliers, des différentes capacités, de l'intensité et de l'efficacité énergétiques des modes et des équipements.
Apport et résultats obtenus
Les expériences numériques mettent en évidence quatre conclusions majeures.
Premièrement, une tarification carbone ne permet pas seule d'infléchir de manière suffisamment significative les émissions du secteur des transports si bien que les contraintes de réduction d'émission sont reportées sur les autres secteurs, ce qui induit un coût macroéconomique important.
Deuxièmement, au-delà d'une seule tarification du carbone, l'infléchissement des émissions du secteur des transports requiert un dispositif de politiques publiques qui permette d'en circonvenir les effets distributifs complexes et l'inertie particulière. Ces politiques publiques spécifiques aux transports permettent de réduire les coûts macroéconomiques d'un objectif ambitieux comme le Facteur 4.
Troisièmement, il convient de noter que même dans le cas de politiques de transport volontaristes, les réductions d'émission du secteur des transports restent en-deçà de la division par quatre : il apparaît que le facteur 4 à l'échelle de la France n'est pas un facteur 4 homothétiquement transposé à chacun des secteurs. Le secteur du transport de marchandises se dégage ici comme le point de blocage majeur puisque ses émissions peinent à passer sous la barre du facteur 2.
Enfin, des politiques externes au secteur de l'énergie et des transports, visant à utiliser l'effet de levier des revenus d'une taxe carbone pour réduire d'autres fiscalités distorsives, peuvent permettre de contenir davantage les effets économiques négatifs du Facteur 4.
En conséquence, ces travaux soulignent la nécessité d'articuler dans le temps des mesures internes et externes au secteur des transports (planification urbaine, immobilier, énergie, fiscalité).
Pour l'amélioration de l'évaluation et la réduction des incertitudes, cette étude montre le potentiel et l'intérêt de dialogues entre expertises sur des domaines différents ; mais elle souligne l'importance des déficits de données primaires (coûts relatifs moyens d'investissement en infrastructure par unité transportée et pour chaque mode, réactivité de la demande de mobilité aux instruments de politiques climatiques, etc.). En outre, la description de la dimension spatiale des politiques et des interactions avec les politiques d'aménagement du territoire reste trop largement absente des évaluations.
© Ministère de la Transition écologique et solidaire