Le volant et la norme. Rapport de recherche.
Source- Saint Denis : Université Paris 8, 2007 - 165 p., ann., bibliogr., tabl., photogr.
Résumé- Problématique :
Il est arrivé à chacun de nous de stationner sous un panneau d'interdiction, de rouler un peu plus vite que la vitesse autorisée, d'omettre de boucler sa ceinture, de faire usage de son portable (brièvement) pour de "bonnes raisons". Pour autant, chaque conducteur serait-il un "délinquant" ? Le non respect du Code de la route étant mis en avant par les pouvoirs publics comme cause essentielle des accidents de la route, la présente recherche vise à mettre en évidence non seulement les modalités du respect (et du non respect) des règles du Code de la route et des attitudes à son égard mais aussi les interprétations et les représentations pratiques des normes sociales de conduite. En effet, la nature normative du cadre d'action des politiques publiques de sécurité nécessite de comprendre les pratiques de l'appropriation des normes (ou de leur non-appropriation) et la façon dont se construisent les comportements en situation de conduite automobile. La problématique invite à s'interroger sur les propriétés cognitives et pratiques du Code de la route comme instrument d'appropriation des normes et de production de comportements, en situation, par les conducteurs.
Méthodologie :
Entretiens semi-directifs auprès de 154 conducteurs ordinaires titulaires d'un permis en cours de validité constituant un échantillon raisonné relevant d'une méthode proportionnelle. Réalisation de 40 trajets commentés sur un sous-échantillon. Trois terrains différenciés : Aquitaine rural, périurbain des environs de Lille, Paris et la région parisienne. Le premier volet fait appel à des constats observés par les conducteurs et à leurs sentiments en matière de conduite automobile, de pertinence des règles et des politiques de sécurité routière. Le volet "trajets commentés" amène les conducteurs observés à formuler des constats en situation, au moment où l'événement se produit. Ces conditions de quasi-laboratoire permettent de comprendre comment le conducteur analyse une situation donnée, même éphémère, et élabore le processus de réaction.
Résultats :
L'idée de prise de risque des travaux conventionnels de sécurité routière mérite d'être réinterrogée car le modèle sous-jacent masque l'élaboration des processus de décision et d'action, au volant, ce que permet, à l'inverse, l'approche par la théorisation des situations. Ainsi, il n'y a pas un profil indifférencié de conducteur ordinaire mais au moins 6 profils type parmi lesquels celui du situationnel - qui privilégie la situation à la règle - est central.
Conduire, c'est décider et agir dans l'urgence. Les conducteurs agissent et réagissent aux actions des autres usagers de l'espace public partagé, aux injonctions du paysage routier et de la signalisation. Ainsi, une situation de conduite peut être considérée comme un système d'action locale éphémère ; un trajet sera composé d'une succession de tels systèmes. La conduite automobile s'avère relever davantage de la conformité aux conditions de circulation que de la conformité stricte aux règles du Code. Le Code lui même n'est pas remis en cause. En revanche, il est traduit localement en injonctions spécifiques ; et ces injonctions ne font pas toujours sens, laissant les automobilistes dans l'incertitude et/ou l'ambiguïté.
Conduire est un art pratique et nul n'est à l'abri d'une erreur (d'interprétation de la situation ou de manoeuvre appropriée) ou d'une inattention. Fatigue et stress perturbent la qualité de la conduite. En outre, dans une société hyperactive, ne rien faire est stressant. Faire quelque chose, ne pas attendre dans l'inaction d'une part, respecter et être respecté des autres, d'autre part, est "la norme" des volants ordinaires. L'analyse des trajets commentés révèle l'importance des émotions dans la conduite et en particulier de la colère. La logique à l'oeuvre n'est pas celle de la prise de risque ou du plaisir de transgresser. L'impatience ou l'énervement, qui émergent notamment dans des contextes d'incertitude, poussent à agir avec moins de prudence et entraînent, par "dérapage", des infractions. Le conducteur n'est pas seul sur la route, une relation de pouvoir entre conducteurs s'instaure parfois : l'un influence l'autre et l'amène à agir de façon différente de ce qu'il souhaitait faire, à agir à l'encontre de ses préférences, ce qui déclenche chez lui frustration et colère. Ces résultats éclairent d'un nouveau jour les questions de vitesse et de distances de sécurité, notamment.
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